Arts & Métiers Magazine : Intraterra démine les carrières.
DONNER CARRIÈRE À SON DÉSIR D’ÉCOLOGIE !
Philippe Moranne (An. 191), fondateur d’Intraterra, a déposé quatre brevets d’une invention qui pourrait révolutionner le secteur des carrières et de la géothermie. Histoire d’une rupture technologique qui va faire du bruit dans le granit.
Parfois, on les aperçoit distraitement le long des routes quand on roule en voiture.
Les carrières, ces meurtrissures faites à la Terre, fournissent les matériaux dont les êtres humains ont besoin — granit, craie, marbre… Leur impact sur l’environnement est irréversible puisque des hectares de biodiversité sont détruits pour des décennies. C’est en vue d’atténuer ces mutilations que Philippe Moranne a inventé une carotteuse à l’emprise surfacique cinquante fois inférieure à celle des méthodes d’excavation actuelles.
Retour en arrière. Philippe Moranne dirige depuis une vingtaine d’années, à Toulouse, la chaudronnerie industrielle CTIC Machines, qui fabrique des ouvrages notamment pour les acteurs de l’eau et de l’aérospatial. Mais, depuis une quinzaine d’années, le gérant est intéressé par la problématique de la géothermie haute température. «Plus j’avançais dans la réflexion, plus je me disais qu’il fallait imaginer un outil de forage inédit», se rappelle l’inventif industriel.
UNE LONGUE MATURATION
De là a germé l’idée d’une carotteuse géante, capable de soustraire, dans toutes sortes de roches, des blocs cylindriques géants (2,10 m de diamètre ✕ 2,50 m de hauteur) de 25 tonnes et de creuser des puits jusqu’à 100 m de profondeur.
Le bloc de granit est coupé à l’aide d’un câble diamanté tous les 2,50 m. Une fois la carotte sectionnée, elle est agrippée par des vérins puis remontée à la surface grâce à la tour de relevage (voir le schéma ci-contre). Philippe Moranne explique : «Mon procédé s’apparente au perçage d’un mur à l’aide d’une scie-cloche. Quand on la retire du mur, la cloche contient un cylindre de Placoplatre.»
«Après cinq ans de recherches, poursuit-il, j’ai déposé quatre brevets, validés sans aucune antériorité : la machine à carotter, le procédé d’exploitation de la carrière écologique et deux autres sur la “smart” géothermie [géothermie astucieuse, NDLR] productrice de chaleur.»
Toujours aux commandes de CTIC Machines, l’entrepreneur dépose la marque Intraterra en 2013 avant d’en faire le nom de sa société six ans plus tard. Philippe Moranne veut travailler au rythme de l’industrie, qui impose rigueur, fiabilité, «réplicabilité » et sécurité. L’impact de son projet est majeur, nulle erreur n’est permise.
De 2011 à 2014, il se consacre au développement. Des bancs d’essais dans les ateliers de CTIC valident le concept de la future machine.
En 2014, Philippe Moranne s’attaque au dossier des financements. Un an plus tard, arrivent un crédit bancaire de BPI France et une levée de fonds de 44 000 euros, réalisée par le Cercle Intraterra, un groupe d’investisseurs qui a démarré avec 22 personnes (86 aujourd’hui). Ce groupe aura, à ce jour, réussi à rassembler 520 000 euros en six levées. En 2018, l’Ademe signe une convention avec Intraterra. L’argent sera débloqué après le démarrage du chantier. À ce jour, 2 millions d’euros environ ont été investis.
Ces apports permettent le lancement, dès 2016, de la fabrication du module de rainurage, du câblage et de toute l’électronique embarquée. Les outils de coupe ont été initialement testés en atelier sur un socle de béton, aux caractéristiques proches du granit. Parallèlement, Intraterra lance une réflexion sur la certification Iso 14001 pour les futures carrières dites environnementales».
En juin 2018, un arrêté préfectoral autorise une opération pilote de carrière «environnementale» dans le Sidobre, territoire montagneux granitique du Tarn. Les essais en atelier arrivent maintenant à leur terme. L’opération de terrain va démarrer à son tour : «Elle est programmée pour la fin de cette année, précise Philippe Moranne, le temps de finaliser et de déménager la première machine.»
MOINS DE DÉGÂTS SUR L’ÉCOSYSTÈME
Le procédé d’Intraterra est porteur d’avantages par rapport aux chantiers traditionnels : abandon des explosifs, meilleure valorisation de la roche (moins de déchets) et impact moindre sur l’écosystème. Aucun bruit ni secousse ne seront engendrés. Haut de 23 mètres, le bâtiment qui abritera la carotteuse améliorera la vie des carriers, notamment en périodes de pluie ou de froid, limitera le bruit et les poussières. «Grâce au recours à l’électricité “verte”, signale Philippe Moranne, nos émissions de CO2 seront réduites par rapport aux chantiers traditionnels, qui, eux, ont recours aux pelles mécaniques, groupes électrogènes et tombereaux.»
Par ailleurs, les blocs de roche extraits seront calibrés de manière à être directement exploitables par les filières de transformation.
Ainsi, «de simples camions suffiront à l’évacuation de nos blocs, préalablement découpés». Les eaux nécessaires au refroidissement des outils de coupe seront recyclées et le puits creusé par la carotteuse pourra être rebouché par les boues de sciage et les chutes de roche non valorisables. Les ateliers de découpe du granit, très nombreux dans le Sidobre, trouveront également dans ces puits un lieu approprié pour leurs déchets.
Dernier avantage, le plus important :
L’emprise au sol de la carrière verticale, jusqu’à 200 m², fournira 10 000 m3 de roche — c’est-à-dire autant qu’une carrière de 5 ha, donc 250 fois plus grande ! Le gain «écologique», si on peut employer cet adjectif, sera spectaculaire. Le chantier pilote à venir annonce la fin d’une étape clé. Le modèle économique démarrera par de la prestation de services auprès des carriers. Ce sera aussi le moment de lancer de nouvelles levées de fonds.